Urbanisme : Droit de préemption et détournement de pouvoir

Une société était propriétaire depuis 2001 de 20 locaux commerciaux situés dans le centre commercial de la Madeleine à CHARTRES. Après avoir conclu une promesse de vente s’agissant de ces locaux avec une autre société pour un montant de plus de 26 millions d’euros, une société publique locale (SPL) a exercé, sur délégation spéciale du Maire de la Commune de CHARTRES, le droit de préemption au prix suggéré par l’avis de France Domaine d’un peu plus de 5 millions euros. Cette décision de préemption était motivée par la réalisation d’une vaste opération d’aménagement dont le périmètre devait correspondre à celui d’une Zone d’Aménagement Concerté (ZAC) créée quelques mois plus tard par délibération du conseil municipal de la Commune de CHARTRES.

 

 

Après saisine du juge de l’expropriation par la société venderesse, la SPL a fait part de sa renonciation à la préemption. Cependant, cette société a invité la Commune de CHARTRES à acquérir ses biens en usant de son droit de délaissement, ainsi que le permettent les articles L. 311-2 et L. 230-1 du Code de l’urbanisme pour les terrains situés dans une ZAC. En l’absence d’accord amiable, le juge de l’expropriation a été saisi. En parallèle, la Commune de CHARTRES a décidé de lancer une procédure de modification du périmètre de la ZAC pour en exclure le centre commercial.

 

 

La société venderesse a alors saisi le Tribunal administratif d’Orléans d’un recours dirigé contre la délibération du conseil municipal de la Commune de CHARTRES excluant le centre commercial du périmètre de la ZAC, laquelle décision n’avait d’autre but, selon cette société, que de faire obstacle au droit de délaissement.

 

Par ailleurs, estimant la décision de préemption illégale, cette même société a saisi le Tribunal d’une demande tendant à la condamnation de la Commune de CHARTRES et de la SPL à l’indemniser de son manque à gagner. Elle a en parallèle sollicité de ce même Tribunal la condamnation de l’Etat pour faute en raison de l’irrégularité de l’avis de France Domaine.

 

 

Par un arrêt du 31 janvier 2024, la Cour administrative d’appel de VERSAILLES a annulé le jugement du Tribunal administratif d’ORLEANS ayant rejeté la requête aux fins d’annulation de la délibération portant modification du périmètre de la ZAC. En effet, la Cour versaillaise a considéré que la modification du périmètre de la ZAC par la Commune de CHARTRES a été décidée dans le seul but de faire obstacle au droit de délaissement de la société venderesse de sorte que cette modification est entachée d’un détournement de pouvoir. La Cour a notamment tenu compte de ce que la modification du périmètre de la ZAC a été décidée quelques mois après que cette société eut exercé son droit de délaissement.

 

 

En outre, s’agissant de la décision de préemption en elle-même, la Cour a retenu que celle-ci n’avait pas pour objet d’acquérir le bien en litige mais de rompre la promesse de vente que la société venderesse avait conclu avec l’acquéreur évincé de manière à pouvoir acquérir ultérieurement le bien à moindre coût et de façon générale, à tirer vers le bas les prix de toutes les acquisitions à venir dans cette zone. La Cour a donc considéré que cette décision de préemption était, pour ce motif, entachée de détournement de pouvoir. Partant, elle a jugé que cette illégalité fautive était de nature à engager tout à la fois la responsabilité de la SPL , en sa qualité de concessionnaire délégataire du droit de préemption, et celle de la Commune de CHARTRES dès lors que l’implication du Maire a été décisive dans l’adoption de cette décision de préemption.

 

 

Cette décision de la Cour versaillaise est intéressante en tant qu’elle illustre un cas de détournement de pouvoir dans l’exercice du droit de préemption par une Commune. Pour un autre exemple récent de détournement de pouvoir retenu dans l’exercice du droit de préemption, l’on renverra à une ordonnance  du Président du Tribunal administratif de LIMOGES du 24 avril 2023 ayant retenu l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de la décision d’une Commune instituant un droit de préemption sur des parcelles dont le préfet indiquait qu’elle avait pour seul but de faire obstacle à la création d’un Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile (CADA).

 

 

Enfin, relevons que, dans cet arrêt du 31 janvier 2024, la Cour administrative d’appel de VERSAILLES a également jugé qu’en s’abstenant d’évaluer les biens de la société venderesse selon la méthode de la valorisation par capitalisation du revenu ou, du moins, en s’abstenant de croiser l’évaluation réalisée selon la méthode par comparaison avec celle de la valorisation par capitalisation du revenu, les services de France Domaine ont commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat.

 

 

CAA Versailles, 31 janvier 2024, n°22VE00765

 

 

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